Al-Ghazâli
Sommaire
Abou Ḥamid Moḥammed ibn Moḥammed al-Ghazālī (1058-1111) est un important mystique et penseur sunnite, à la fois conseiller du Calife, théoricien et enseignant du droit, mais aussi soufi. Son parcours est marqué par une crise spirituel qui le fait abandonner des charges importantes, pour dix années de retraite spirituelle. Il établira dans son oeuvre, à l'aide d'une pensée philosophique rigoureuse, les limites de la pensée philosophique, et la supériorité de la gustation (dhawq) de Dieu sur la raison ('aql).
Homme de cours il devint ermite, dialecticien il s’efforçât de démonter la raison philosophique, et tenant de l'orthodoxie sunnite la plus stricte, il se fit soufie.
Théologien de courssommaire
Mohammad Ghazâli naquit en 450/10581 à Ghazâleh, bourgade des environs de Tûs dans le Khorassan. Avant de mourir, son père le confit, lui et son frère à un ami, un sage soufi. Après cette première éducation il rentre dans une madrasa de Nîshapour, qui était alors, un des centres intellectuels les plus importants du monde islamique. C'est là qu'il reçut l'enseignement et devint disciple du maître de l'école ash'arite : Imâm al-Haramayn.
À la mort de ce dernier(478/1085), al-Ghazali a 28 ans. Entrant en relation avec le vizir seljoukid Nizâm al-Molk, fondateur de l'université Nizâmîya de Baghdad, il y est nommé professeur en 484/1091. Il approfondi durant cette période sa connaissance de la philosophie et réfléchi sur le rapport entre religion et philosophie. Sa renommé grandit, il évolue dans les allées du pouvoir, consulté par les vizir et le Calife. Il est connu pour deux ouvrages durant cette période, exposant les thèses des philosophes musulmans connus à cette époque, pour les réfuter et les attaquer : Maqasid al-Falasifa [Les intentions des philosophes ], suivi de son célèbre ouvrage, Tahafut al-Falasifa [ Effondrement des philosophes]. Il participe également, sur le plan intellectuel, à l'intense lutte contemporaine entre le califa abbasside et l'état Fatimide chiite. Il réfute l'ésotérisme chiite des batinites (les ismaéliens) dans son traité : Les vices de l'ésotérisme et les vertus de l'exsotérisme.
Errancessommaire
Puis subitement, à l'âge de 38 ans, il entre dans un trouble spirituel, perdant parait-il, l'usage de la parole et la capacité d'enseigner. il quittera ses fonctions prestigieuses —étant alors recteur de l'université Nizâmîya — et entrera en pèlerinage et dans une vie d'ermite.
Ce pèlerinage solitaire le mènera dans tout le monde musulman : partant de Bagdad, il voyage à Damas puis à la Mecque. Il séjourne ensuite quelques temps à Jérusalem, avant que cette dernière ne soit prise par les francs de Godefroy de Bouillon en 1099. Il aura rédigé durant cette période un de ses ouvrages majeurs : Revivification des sciences de la religion, résumant l'essentiel de la religion musulmane, dans ses pratiques et dans ses croyances.
Il s'installe ensuite à Alexandrie où il vit dans les ribât 2soufis. Il y accepte un poste d'enseignant. Il a compris à ce moment là que les sciences extérieurs ne peuvent pas mener à la certitude de la foi. Seule la voie du soufisme et du dévoilement spirituel peuvent y mener.
Ma période de retraite spirituelle a duré environ dix ans, au cours desquels j'ai eu d'innombrables, d'inépuisables dévoilements. J'ai su alors avec certitude que les soufis sont sur la voie de Dieu, et que cette voie est la meilleure ; les moeurs sont les plus pures que l'on puisse trouver.[...] En effet, toutes leurs pensées et leurs actions [...] s'alimentent à la lumière de la prophétie, et il n'est aucune lumière, sur Terre, qui l'emporte sur celle-ci.
Ghazâlî, La Préservation de l'erreur (Al-mnuqidh min al-dalâl)
Il revient, sur l'invitation pressante du pouvoir à Nishapour pour enseigner en 1105, puis se retire dans sa ville natal de Tûs pour y mourir à l'âge de 54 ans.
Influencesommaire
Al-Ghazali est un personnage majeur de l'Islam, du soufisme et du sunnisme. Honoré de son vivant comme enseignant puis comme Cheikh soufi, il est appelé la "preuve évidente de la Religion".
Par son parcours original il établi un pont entre le sunnisme, dans sa rigueur exotérique, et le soufisme. Son style très clair le distingue du langage allégorique habituel des mystiques. Son soufisme n'est pas une recherche extatique, mais un cheminement d'humilité devant Dieu, et la conscience que le raisonnement ne peut pas parvenir à Sa Connaissance.
La science qui mène au salut est de deux sortes : celle qui opère par le dévoilement spirituel (mukâshafa) et celle qui concerne les actions humaines (mu'âmala). La première, qui correspond à la science ésotérique, est supérieure à toutes les autres. [...] Par la science du dévoilement, j'entends la lumière qui naît dans le cœur lorsque celui-ci est purifié. Cette lumière éclaire maintes réalités sur lesquelles on avait jusqu'alors les idées confuses [...]
Ghazâli, Revivification des sciences de la religion 1,19-20
Mais cette prééminence qu'il accorde à la recherche gustative (dhawq) de Dieu ne le rapproche pas des chiites. Dans son attaque contre les batinites, il leurs reproche leur confiance aveugle à un maître spirituel.
Attaque contre la philosophie.sommaire
Ses attaques contres les philosophes musulmans sont véhémentes. Il s'emploie méthodiquement à démontrer leurs erreurs et les limites logiques de leurs raisonnements. Ceci fait dire à de nombreux historiens, qu'il aurait sonné le glas de la pensée philosophique en Islam, mais Henry Corbin n'est pas de cet avis.
Notons qu'il a subit dans le moyen-âge latin, sous le nom d'Algazel, un sort paradoxal. En effet on y a traduit diffusé, uniquement le Maqasid al-Falasifa [Les intentions des philosophes ], qui expose un résumé clair de leurs thèses, mais on a ignoré l'exorde de celui-ci, où il expose le but de cet exposé, et surtout la suite : le Tahafut al-Falasifa [ Effondrement des philosophes], soit la réfutation féroce de leur doctrine. Ainsi on l'a considéré comme un des principaux philosophes musulmans.
Point de vue de Henry Corbin.sommaire
On sent un certain dédain et une certaine condescendance de Henry Corbin pour Al-Ghazali. On sait la fascination de Henry Corbin pour l’ésotérisme chiite. Aussi considère-t-il comme une faiblesse, l'attaque l'al-Ghazali contre ces derniers :
On est frappé de voir Ghazali déployer une dialectique acharnée contre une pensée qui est essentiellement herméneutique. Le processus du ta'wîl ismalélien (l'exégèse ésotérique) lui échappe, aussi bien que l'idée d'une science qui est transmise(tradita) comme un héritage spirituel ('ilm irthî) à ses héritiers. Il ne veut voir que " religion d'autorité" là où il y a initiation à une doctrine (ta'lîm), à un sens caché qui ne se construit ne ne se démontre à coups de syllogismes, et qui requiert un Guide inspiré,l'Imâm.
Henry Corbin,Histoire de la philosophie islamique
Al-Ghazali a bien compris l'impuissance de la philosophie pour atteindre la vérité, mais il ne veut pas se départir de cette dernière. Henry Corbin pointe cette incohérence :
Le sens du mot tahâfot comporte plusieurs nuances. On a traduit par effondrement, écroulement, destruction[...], plus récemment par "incohérence', terme qui reste trop abstrait et statique. En fait l'état signifié par ce nom verbal (VIe forme en grammaire arabe, impliquant l'idée d'une réciprocité s'exerçant entre les différentes parties d'un tout) se pourrait traduire au mieux ici par "Autodestruction des philosophes". Ici tout particulièrement éclate le paradoxe d'un Ghazâli qui, si convaincu de l'inaptitude de la raison à atteindre la certitude, a du moins la certitude de détruire, à coup de dialectique rationnelle, les certitudes des philosophes. Averroës fut parfaitement conscient de cette autonégation : admise l'impuissance totale de la raison, cette impuissance s'étend à sa propre n'égation, celle qu'elle dirige contre elle-même. C'est pourquoi Averroës répliquera par la négation de la négation et écrira un Autodestruction de l'autodestruction (Tahâfot al-tahâfot)
Henry Corbin, Ibid.
Enfin Henry Corbin nie que al-Ghazâli soit à l'origine d'une fin de la philosophie islamique à l'Orient, ou qu'il lui aurait porté un coup dont elle ne se serait pas relevée.
Lienssommaire
- wikipedia
- Encyclopédie de l'Agora
- Les clés du Moyent-Orient
- Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation
Référencessommaire
- Roger ARNALDEZ. GHAZÂLI (AL-). vol.4 p.3183 in Encyclopedie thématique. Directeur de la publication : Giuseppe ANNOSCIA,Direction du développement éditorial : Anne OLLIER. France,Encyclopedia Universalis, 2004. 25vol. ISBN 2-35091-022-9
- p.253 in Henry Corbin. Histoire de la philosophie islamique. Gallimard,col.folio essais,1986. 546p. ISBN 978-2-07-032353-1
- Eric Geoffroy. Al-Ghazâli La Voie et la Loi. p.62 in Penser l'Islam. Directeur de la publication : Étienne Gernelle,Rédactrice en chef : Catherine Golliau. Paris,Le Point,col.Le Point Références, 2015. ISSN 2109-2753
Notessommaire
Raphaël Urbain le 30 avril 2016
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